Lexbase Afrique-OHADA n°5 du 16 novembre 2017 : Commercial
[Jurisprudence] L'importance de l'office du juge dans la sanction de la perte du droit au renouvellement du bail commercial

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Le 17-11-2017

Cour d'appel du centre Cameroun, arrêt n° 237/CIV du 17 juin 2009 (N° Lexbase : A0219WZ7)

[Jurisprudence] L'importance de l'office du juge dans la sanction de la perte du droit au renouvellement du bail commercial - par Sara Nandjip Moneyang, Maître de conférences, Faculté des sciences juridiques et politiques, Université de Douala (Cameroun)

par Sara Nandjip Moneyang, Maître de conférences, Faculté des sciences juridiques et politiques, Université de Douala (Cameroun)

Le bailleur est fondé à demander la résiliation judiciaire du bail commercial lorsque le locataire n'a pas formulé sa demande de renouvellement dans les délais. Toutefois, le locataire de bonne foi peut se voir allouer une indemnité d'éviction pour la plus-value qu'il a apportée à l'immeuble.
Si nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, il est tout aussi indécent de vouloir profiter d'un manquement de l'une des parties au contrat pour s'enrichir sans cause. La question du renouvellement du bail commercial et ses conséquences continuent d'alimenter nos prétoires ; et il est très souvent question des bailleurs qui restent muets face à une demande de renouvellement et ne se réveillent que lorsqu'ils sont soit, face à un prétendant nouveau locataire qui propose des conditions plus avantageuses, soit lorsqu'ils peuvent tirer profit des aménagements opérés entretemps par le locataire qui croyait par l'attitude du bailleur que son contrat se poursuit normalement. Cette situation est celle qu'a connue la société L., locataire commerçant, dans le litige l'opposant aux époux S., propriétaires des lieux loués.

En l'espèce, la société L. avait hérité d'un contrat de bail commercial passé entre son prédécesseur et les époux S. le 2 août 2002 et modifié le 28 mars 2003. Contrat dont l'article 1er prévoyait un délai dans lequel la demande de renouvellement du bail devait être faite, et dont l'inobservation entraînerait la résiliation dudit bail. N'ayant pas respecté le délai prévu dans le contrat de bail, au motif que ce contrat signé par son prédécesseur ne la liait pas, la société L. a continué à payer les loyers pour la période allant au-delà du 5 août 2005, date d'expiration du premier contrat de bail. La perception desdits loyers par les époux S. a conduit le locataire à déduire que ceux-ci acceptaient implicitement de poursuivre les relations contractuelles, d'autant plus que ce paiement correspondait bien à une exigence du contrat. Or, cet entendement n'était pas celui des époux S., qui ont décidé de saisir le juge pour voir expulser leur locataire.

En effet, saisi au principal par les époux S., le TGI du Mfoundi, statuant en matière civile et commerciale le 21 mars 2007, rend le jugement n° 350, ordonnant l'expulsion de la société L. des lieux louées, sous astreinte de 10 000 F CFA (soit 15,20 euros) par jour de retard, tout en déboutant les époux S. de leurs demandes relatives au paiement de la somme de 1 800 000 F CFA (soit 2 744,08 euros) pour occupation abusive des lieux et à l'exécution provisoire. Se prononçant sur la demande reconventionnelle de la société L., le tribunal lui accorde le paiement d'une indemnité de 60 000 000 F CFA (soit 91 469,27 euros) couvrant la plus-value des travaux de réfection effectués sur l'immeuble. Mécontentes de cette décision, les parties interjettent appel, le 11 septembre 2007 pour les époux S. et le 20 septembre 2007 pour la société L.. Dans sa requête d'appel, la société L. demande à la cour de subordonner la libération des lieux loués au paiement d'une indemnité de 375 000 000 F CFA (soit 571 682, 91 euros), représentant les travaux de transformations et de modification des locaux. De leur côté, les époux S. contestent l'indemnité qu'ils doivent verser à la société L. à titre de dommages-intérêts pour les travaux effectués car ceux-ci l'ont été en violation de l'article 5 du contrat de bail qui subordonnait de tels travaux au consentement du bailleur. Le 17 juin 2009, la cour d'appel du centre statuant à nouveau, infirme le jugement du TGI, condamne la société L. à payer aux époux S. la somme de 2 700 000 F CFA (soit 4 116,12 euros) à titre de loyers échus et impayés, condamne aussi les époux S. à 80 000 000 de F CFA (soit 121 959, 02 euros) de dommages-intérêts dus au locataire et confirme l'expulsion. C'est cet arrêt qu'il nous est donné de commenter.

En l'espèce, les juges devaient répondre à deux questions : premièrement, quelle est la sanction du locataire commerçant dont la seule faute est de n'avoir pas formulé sa demande de renouvellement dans les délais, alors même que ce dernier accomplit toutes les obligations principales de la location ? Deuxièmement, quel est le sort des travaux de réfection effectués dans les locaux loués sans l'accord du bailleur ?

Pour répondre à ces préoccupations, les premiers juges ont sanctionné par l'expulsion, la violation par le locataire de l'article 1er du contrat de bail lui imposant un délai pour la demande de renouvellement de son bail, et débouté le preneur de sa demande d'indemnisation. Les juges de la cour d'appel ont quant à eux confirmé l'expulsion tout en accordant au locataire une indemnité couvrant la plus-value apportée à l'immeuble. Cette réponse confirme d'une part, que bien que le locataire n'ait droit au renouvellement de son bail que s'il en fait la demande conformément à la loi ou aux stipulations contractuelles, la portée de cette obligation doit être appréciée avec souplesse (I), et d'autre part permet de clarifier la nature de l'indemnité d'éviction qui peut être due au locataire malgré la légitimité de son expulsion (II).

I - La portée de l'obligation de demander le renouvellement du bail dans les délais

Aux termes de l'ancien article 91 de l'AUDCG (1), le droit au renouvellement du bail est acquis au locataire commerçant qui justifie avoir exploité l'activité prévue au contrat de bail pendant au moins deux ans. Toutefois, la mise en oeuvre de ce droit est subordonnée à l'observation d'un délai selon la nature du contrat, qui peut être à durée déterminée ou non (2), et dont le non-respect peut entraîner l'expulsion du locataire sans qu'il puisse prétendre à une indemnité d'éviction. Cette sanction de la déchéance du droit au renouvellement semble dès lors être un principe (A) dont la souplesse est avérée (B).

A - La force du principe : l'expulsion du preneur déchu du droit au renouvellement

La protection du fonds de commerce a pour origine l'importance de l'installation matérielle du commerçant. En effet, l'implantation géographique conditionne la fidélisation et le développement de la clientèle. Si le locataire commerçant venait à perdre son local, il perdrait de facto sa clientèle, donc son fonds (3). Pour canaliser ce risque et limiter autant que faire se peut, l'arbitraire des bailleurs, le législateur OHADA, à la suite de son homologue français (4) consacre le principe du droit au renouvellement dans les anciens articles 91 à 102 de l'Acte uniforme relatif au droit commercial général (5). Il affirme la revendication d'une "propriété commerciale" et l'existence au profit des locataires d'un droit sur l'immeuble. Ces deux solutions sont d'ordre public et s'imposent donc au bailleur et au preneur qui ne sauraient y déroger par des stipulations contraires insérées dans le contrat (6). Autrement dit, les parties au contrat de bail commercial ne peuvent convenir de renoncer à ce droit.

Si la notion de "propriété commerciale" est juridiquement impropre car ne peut pas être employée pour marquer l'opposabilité absolue du droit, tout un intérêt pratique découle de ce principe du fait qu'il essaie de concilier la stabilité et la préservation des droits du propriétaire sur son bien, tout en garantissant aussi au locataire la pérennité de son emplacement commercial ; ce qui est une cause noble mais de difficile réalisation. En effet, le locataire commerçant ne bénéficie du renouvellement de son bail qu'à certaines conditions dont le respect du délai d'introduction de la demande n'est pas des moindres, puisqu'il a été bien encadré par le législateur. Ce délai est important car il permet au bailleur non seulement d'être informé de ce que le preneur souhaite continuer les relations contractuelles et d'évoquer s'il y a lieu un motif de refus de renouveler, mais aussi de s'opposer à temps pour permettre au locataire de trouver un nouvel emplacement. Lorsque le bail est à durée déterminée, le preneur doit adresser sa demande de renouvellement au bailleur au moins trois mois avant l'expiration du bail (7). En cas de contrat à durée indéterminée, le délai de préavis est de six mois (8), adressé à l'autre partie par celle qui prend l'initiative de la rupture. Les parties peuvent aussi inclure dans le contrat un délai à observer par le locataire qui souhaite obtenir renouvellement de son bail (9). Tel était le cas du contrat (10) liant la société L. et les époux S. dont l'article 1er prévoyait de demander le renouvellement du bail au plus tard le 1er août 2007. L'inobservation de ce délai entraînait la déchéance du locataire qui perdait ainsi son droit au renouvellement et l'indemnité d'éviction qu'il aurait perçue en cas de refus de renouvellement sans motif légitime du bailleur. Il s'agit là d'une mesure stricte à laquelle doit veiller le locataire. Il a, d'ailleurs, été jugé que le locataire est coupable de voie de fait lorsque n'ayant pas formulé de demande de renouvellement, il se maintient dans les lieux (11).

Dans le cas d'espèce, la société L. avait sollicité le renouvellement de son bail un jour après l'expiration du délai convenu, plus précisément le 2 août 2007. Il était donc hors délai selon les stipulations contractuelles, ce qui constituait une inobservation d'une clause du contrat. C'est cette faute dans l'exécution du contrat qui est sanctionnée par l'expulsion du preneur. Les juges le relèvent d'ailleurs si bien : "Que s'agissant de l'expulsion de la société L. de l'immeuble des époux S., son expulsion méritée est fondée sur la violation des dispositions contractuelles consignées en l'article premier du contrat de bail". Les juges estiment, toutefois, que ce manquement n'est pas dirimant et en font une appréciation conciliante.

B - La souplesse du principe : le respect des obligations principales

Après avoir donné raison au juge d'instance, le juge de la cour d'appel relève toutefois que la demande de renouvellement du bail qui doit être faite par le preneur n'est pas une obligation essentielle du contrat, au même titre que les obligations de payer les loyers aux termes convenus et celle d'exploiter les locaux en bon père de famille et suivant la destination prévue dans le contrat, conformément aux articles 80 et 81 de l'AUDCG (12). Le juge repose cette flexibilité de son appréciation sur deux critères : la proportionnalité entre la faute du preneur et la sanction (1) et l'absence de péril du côté du bailleur (2).

1. L'exigence de la proportionnalité de la sanction à la faute du preneur

Le juge lève ici un pan de voile sur la rigueur de la sanction du défaut de la demande de renouvellement ou le retard de cette demande. En effet, bien qu'ayant justifié la sanction du retard dans la demande de renouvellement, la cour se demande si un simple retard d'un jour dans l'introduction de ladite demande est si grave pour justifier la résiliation du contrat et l'expulsion du locataire commerçant sans indemnité (13). Cette démarche qui consiste à ménager le locataire commerçant qui respecte ses obligations principales n'est pas nouvelle. La CCJA avait déjà admis que la déchéance prévue par l'article 92 de AUDCG ne saurait entrainer automatiquement l'expulsion du preneur payant régulièrement ses loyers (14). Par ailleurs, l'on comprend que cette hargne des époux S., bailleurs était soutenue par la proposition alléchante que leur faisaient des potentiels acheteurs de l'immeuble au prix de 120 millions, alors que la société L. n'offrait que 40 millions.

Ce faisant, les juges introduisent une condition de proportionnalité entre la faute du preneur et la sanction du bailleur, bien que celle-ci soit légitimée par la loi (15). La cour d'appel souligne qu'il serait parfaitement injuste et contraire à l'équité, de ne pas tenir compte de la disproportion qui existe entre le léger manquement du preneur et la sanction de résiliation du contrat, alors même qu'il n'est reproché au preneur aucun manquement aux obligations essentielles et que le bailleur ne court aucun danger.

2. L'absence de péril pour le bailleur

Le péril est un danger imminent et grave, une situation à hauts risques qui menace une personne dans sa sécurité, sa santé, etc.. (16). Dans le cas d'espèce, les juges exigent également l'existence d'un péril, qui justifierait que le commerçant soit contraint de mettre fin à son activité d'une manière si brutale, et alors même que ce commerçant venait d'entreprendre d'importants travaux d'aménagement des locaux. Or, le bailleur ne courrait aucun risque, en dehors de perdre un éventuel acquéreur. Ce que les juges relèvent si bien.

Cette préoccupation de la cour pose le problème de la bonne foi dans l'exécution des contrats (17) -raison pour laquelle l'équité est évoquée ici- et particulièrement dans celui du contrat de bail commercial. Ils sont légions les cas où le locataire commerçant voit son contrat rompu sans une indemnité pour une simple négligence de sa part ou par la mauvaise foi du bailleur. Or, on peut bien penser que dans le cas d'un contrat à durée indéterminée, même le bailleur peut prendre l'initiative de la rupture s'il ne souhaite plus continuer la relation contractuelle, en adressant un préavis au locataire. Mais, c'est l'inverse qui est généralement apprécié, notamment le locataire qui ne se manifeste pas du tout après l'expiration du bail ou se manifeste en retard et donne ainsi l'occasion au bailleur de l'expulser sans indemnité. La Cour commune de justice et d'arbitrage a eu l'occasion de constater et d'apprécier une telle mauvaise foi dans l'exécution du contrat de bail commercial. En l'espèce, prétextant du non-paiement des loyers et de la non souscription du contrat d'assurance pour risques locatifs, le bailleur somma le locataire de libérer les lieux dans les six mois suivants, pour un local occupé depuis quinze ans, au motif qu'il voulait reprendre les locaux en vue de l'étendre et l'occuper personnellement. Après que les premiers juges aient ordonné l'expulsion sans indemnité du locataire, la cour a réformé la décision en prononçant le maintien du locataire dans les locaux loués (18). Même si les faits ne sont pas identiques, la décision de la cour permet de confirmer l'esprit de la loi communautaire, qui est de protéger le commerçant dans l'exercice de sa fonction, en sanctionnant la déloyauté du bailleur qui cherche à tout prix à expulser le locataire alors qu'il n'y a aucun péril en la demeure.

C'est aussi dans cette optique de protection que le juge de la cour d'appel accorde ici une indemnité au locataire, saisissant ainsi l'occasion d'apporter des éclairages sur l'indemnité d'éviction.

II - La caractéristique de l'indemnité d'éviction dans le cas d'espèce

La protection accordée au commerçant locataire a pour corollaire le paiement d'une indemnité lorsque, celui-ci ayant rempli toutes les conditions de renouvellement de son contrat, le bailleur souhaite mettre fin audit contrat sans motif légitime. Cette indemnité qui est la conséquence du refus de renouvellement (A) peut revêtir la forme de dommages-intérêts compensatoires lorsque le locataire subi un préjudice autre que celui lié au refus de renouvellement (B).

A - L'indemnité d'éviction : sanction du refus de renouvellement sans motif grave et légitime

Aux termes de l'article 94 alinéa 1 AUDCG (19), "Le bailleur peut s'opposer au droit au renouvellement du bail à durée déterminée ou indéterminée, en réglant au locataire une indemnité d'éviction". Cette indemnité est fondée sur la protection accordée au locataire commerçant qui ne peut se voir évincer sans motif grave et légitime (20) de son droit d'occupation des lieux ; l'emplacement constituant pour lui le lieu de ralliement de la clientèle dont l'importance dans l'existence du fonds de commerce n'est plus à démontrer. Il est donc normal que le locataire, qui ne peut plus demeurer sur les lieux qui lui ont permis d'attirer et de conserver la clientèle, soit indemnisé.

Cependant, n'est bénéficiaire de cette indemnité que le commerçant locataire qui, conformément aux articles 80 et 81 AUDCG (21) s'est assujetti de ses obligations de payer les loyers aux termes convenus et d'exploiter les locaux en bon père de famille et suivant la destination prévue dans le contrat. Dans le cas d'espèce, il n'était reproché au locataire aucun manquement à ces obligations principales ; tout au plus, ce dernier qui n'accumulait aucun arriéré de loyer offrait même d'acquérir définitivement l'immeuble. Relevant alors ce bon comportement du locataire qui n'avait failli à aucune obligation principale, la cour décide de lui accorder une indemnité qu'elle qualifie d'indemnité d'éviction. Mais l'on constate que dans le cas d'espèce, cette indemnité destinée à chercher un autre local et à compenser la perte de la clientèle revêt ici une autre casquette et ne constitue pas la contrepartie du refus de renouvellement par le bailleur, puisqu'il a été reconnu que le locataire n'ayant pas formulé sa demande à temps, il avait été déchu de ce droit. La déchéance entraîne la perte du droit sur lequel repose l'indemnité d'éviction. L'on ne peut plus être évincé d'un droit qui n'existe pas. Il fallait dès lors rechercher ailleurs le fondement de l'indemnité due dans le cas d'espèce.

A - L'indemnité d'éviction : synonyme de dommages-intérêts compensatoires du droit d'accession des bailleurs

En application des articles 73 et 74 AUDCG (22), le bailleur est tenu de mettre à la disposition du preneur, des locaux en bon état et doit procéder à ses frais aux grosses réparations nécessaires à l'exploitation des lieux loués. Lorsque ces réparations n'ont pas été faites par le bailleur, le preneur qui y a procédé dans le but de mieux exploiter son activité ne peut se voir sanctionner pour autant, sous le seul argument de n'avoir pas obtenu la permission du locataire (1). Le juge réorganise ainsi les rapports des parties au contrat de bail commercial (2).

1. La non-obtention de l'autorisation d'engager les travaux : un manquement mineur

Dans le cas d'espèce, la société L. avait sollicité à bail une maison d'habitation avec des dépendances et boukarous pour l'exploitation de l'activité de restauration. Les époux S. n'ignoraient donc pas la destination des locaux et le fait que l'activité du preneur ne pouvait facilement s'exercer sans que des travaux nécessaires soient effectués pour transformer les lieux et les adapter à l'activité. Cependant, l'article 5 du contrat liant les parties obligeait le preneur à obtenir l'autorisation du bailleur avant toute entreprise de travaux. Ce dernier aurait donc dû se conformer à cette stipulation, au risque de se voir sanctionner pour non-respect des stipulations contractuelles sur le fondement de l'article 1134 du code civil précité. Mais, malgré cela, la cour d'appel accède à la demande de la société L. qui réclame une indemnité fondée sur le remboursement des frais engagés pour la réfection des lieux et qui a apporté une plus-value importante au local. Ce faisant, la cour rejette l'argument de la violation du contrat et reproche aux époux S. de vouloir profiter de l'embellissement des locaux pour les vendre au plus offrant.

On le voit bien, la cour ne fait pas une interprétation stricte de la loi et des stipulations contractuelles pour rendre sa décision : elle refuse que le bailleur s'abrite sous la violation des dispositions mineures du contrat pour refuser de payer l'indemnité compensatoire du préjudice que subit le preneur, alors que les obligations principales ont été bien remplies. La cour distingue désormais les dispositions mineures des dispositions majeures dont l'inobservation cause un sérieux préjudice au bailleur et s'abstient une fois de plus de sanctionner le locataire qui remplit ses engagements essentiels. L'obligation d'effectuer les grosses réparations nécessaires recouvre celle d'assurer au preneur la jouissance des lieux (23), cette jouissance ne pouvant être possible sans les travaux nécessaires. Le bailleur ne les ayant pas faits, la société L. tire argument de l'article 12 du contrat de bail qui prévoit que le locataire peut faire des constructions nécessaires à l'exploitation optimale de son commerce. Il est vrai que cette disposition n'empêchait pas le preneur de se conformer à celle de l'article 5 du même contrat qui l'invitait à obtenir l'autorisation préalable du bailleur, mais le juge a considéré la violation de cette disposition comme un manquement mineur, qui n'a causé aucun préjudice au bailleur.

L'on tend ainsi vers un aménagement jurisprudentiel des rapports des parties au contrat de bail commercial.

2. La perspective d'un aménagement jurisprudentiel des rapports des parties au contrat de bail commercial

Il convient de relever que, dans le cas d'espèce, la cour fait preuve d'une exceptionnelle flexibilité dans l'appréciation des rapports entre la société L. et les époux S., se référant très souvent à la justice équitable et non au droit. Philippe Jestaz définit l'équité comme "la justice avec un j' minuscule, non celle qui se clame de la république de la Bastille, mais la justice discrète des cas particuliers" (24). La raison est simple : une des nécessités inhérentes au droit est de faire régner, non seulement la Justice mais aussi l'ordre, la sécurité et la paix. L'équité permet ainsi de parvenir à un idéal de justice, à atténuer tout ce que le droit peut avoir de rigide, à réduire l'écart pouvant exister entre la justice et le droit. Il arrive même que le législateur renvoie expressément à l'équité des juges. C'est ainsi que l'ancien article 1135 du Code civil français (N° Lexbase : L1235ABD ; C. civ., nouvel art. 1194 N° Lexbase : L0910KZQ) disposait que "les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature". C'est dans cet esprit que la cour n'a pas manqué d'argument dans le cas d'espèce pour accorder cette indemnité au preneur. Même n'ayant pas obtenu d'autorisation, le preneur qui a tiré argument de ce que le bailleur doit lui assurer la jouissance des lieux dont il n'ignorait pas la destination (25), a effectué les travaux nécessaires ; lesquels travaux profiteront désormais aux propriétaires des lieux. Le juge invoque ici indirectement l'enrichissement sans cause des époux S. pour accorder à la société L. une indemnité compensatoire pour le préjudice que subit cette dernière du fait des travaux qui ont apporté une plus-value importante à l'immeuble.

Il faut donc comprendre que l'indemnité d'éviction versée au preneur ici n'est pas due au sens de l'article 94 de l'AUDCG (26), qui la prévoit lorsque le bailleur sans motif légitime, refuse le renouvellement du bail. Le juge ayant reconnu que la société L. n'a pas respecté les formes du renouvellement, l'indemnité d'éviction ne lui était donc pas due. Mais la théorie de l'enrichissement sans cause (27) offrait également un motif valable au juge, qui a d'ailleurs si bien relever que "[...] c'est ignorer l'esprit du législateur OHADA qui accorde beaucoup d'importance à l'objectif macro économique que ce législateur vise à savoir le maintien d'un équilibre minimum dans le monde des affaires [...]". En effet, l'enrichissement du bailleur, corrélativement à l'appauvrissement du preneur justifiait l'octroi d'une telle indemnité qui trouve bien son fondement ici dans l'article 555 du Code civil français (N° Lexbase : L3134ABP), lequel envisage le droit d'accession sur ce qui s'unit et s'incorpore à la chose. Cet article dispose que "néanmoins, si les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers évincé, qui n'aurait pas été condamné à la restitution des fruits, attendu sa bonne foi, le propriétaire ne pourra demander la suppression desdits ouvrages, plantations, constructions ; mais il aura le choix, ou de rembourser la valeur des matériaux et du prix de la main-d'oeuvre, ou de rembourser une somme égale à celle dont le fonds a augmenté la valeur" (28). En effet, l'immeuble situé au camp sic hippodrome et qui a reçu d'importantes transformations valorisantes était tout à l'avantage des bailleurs qui envisageaient de vendre 'le nouvel immeuble'' au prix non négligeable de 120 000 000 F CFA (soit 182 938,53 euros).

Tout en saluant cette décision des juges de la cour d'appel, il faut, cependant, craindre que le preneur comptant sur la magnanimité des juges, ne se montre désormais laxiste quant au respect des dispositions légales et des stipulations conventionnelles, en négligeant d'observer les règles qui gouvernent son contrat de bail.


(1) AUDCG, art. 123 nouveau (N° Lexbase : L3037LGL).
(2) Idem.
(3) Pour plus de développements, lire A. Ndiaye (A), Le droit au renouvellement des baux commerciaux, Université Cheikh Anta Diop, Mémoire de maîtrise, Droit des affaires, 2006, 33 pages.
(4) Le législateur français a adopté le 30 juin 1926 un droit consistant à la légalisation du droit au renouvellement des baux commerciaux et industriels. Mais son application donne lieu rapidement à de nombreuses difficultés. Elle respectait dans une certaine mesure les prérogatives du bailleur pour un droit de reprise sans indemnité, ni sanction. Les locataires en ont réclamé la modification. Ainsi, un décret du 30 septembre 1953 abroge la loi de 1926 et de ce texte découle un nouveau principe : "la propriété commerciale". Ce principe pose la règle selon laquelle tout locataire commerçant a un droit au renouvellement de son bail à l'échéance dès lors qu'il répond aux conditions édictées par la loi. Cette règle ouvre deux alternatives au bailleur : soit renouveler le bail, soit refuser et payer une indemnité au locataire qui n'a pas commis de faute.
(5) AUDCG, art. 123 à 134 nouveaux.
(6) Cf. AUDCG, art. 123 al. 2 nouveau, qui apporte ici une précision pertinente que l'article 91 ancien ne prévoyait pas.
(7) AUDCG, ancien art. 92 (art. 124 nouv.) : "Dans le cas du bail à durée déterminée, le preneur qui a droit au renouvellement de son bail [...] peut demander le renouvellement de celui-ci par signification d'huissier de justice ou notification par tout moyen permettant d'établir la réception effective par le destinataire au plus tard trois mois avant la date d'expiration du bail. Le preneur qui n'a pas formé sa demande de renouvellement dans ce cas est déchu du droit au renouvellement du bail".
(8) AUDCG, art. 93 (art. 125 nouv.) : "Dans le cas d'un contrat à durée indéterminée, toute partie qui entend le résilier doit donner congé par signification d'huissier de justice ou notification par tout moyen permettant d'établir la réception effective par le destinataire au moins six mois à l'avance".
(9) Il faut toutefois comprendre que ce délai conventionnel ne saurait être inférieur à celui que prévoit la loi, car il s'agit de protéger le commerçant locataire. C'est ainsi par exemple que l'article 123 alinéa 4 nouveau dispose qu'"en cas de renouvellement pour une durée indéterminée, les parties doivent prévoir la durée du préavis de congé qui ne peut être inférieur à 6 mois".
(10) Il est vrai que la société L. estime que le contrat liant son prédécesseur et dans lequel était insérée la clause relative au délai de demande de renouvellement ne lui est pas opposable, argument que les faits ont démenti.
(11) CA du littoral, arrêt n° 193/CC du 4 juillet 2011, Juridis Périodis n° 99, Juillet - Août - Septembre 2014 ; observations de B. Marcellin Kem Chekem. p. 23-35.
(12) AUDCG, art. 110 et 111 nouveaux.
(13) Encore faut-il préciser de quelle indemnité il s'agit ici.
(14) CCJA, 18 avril 2002, n° 14/2002, Ohada.com /Ohadata J-02-67.
(15) AUDCG, anc. art. 92 al. 2 (art. 124 nouveau).
(16) Voir G. Cornu, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, PUF, 2007, p. 675.
(17) C. civ. français, ancien art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC ; nouvel art. 1103 [LXB=L0822KZH ]) : "Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites [...]. Elles doivent être exécutées de bonne foi".
(18) CCJA, 22 novembre 2007, n° 030/2007, Affaire "SCI Golfe de Guinée contre Marina Atlantic Sarl", obs. F. Anoukaha, Juridis périodique, n° 76, Octobre-novembre-décembre 2008, p. 45-52.
(19) AUDCG, art. 126 al. 1 nouveau.
(20) Ce motif grave et légitime est légalement défini par la loi, notamment l'ancien article 95 de AUDCG (127 nouveau) qui envisage l'inexécution par le bailleur d'une obligation substantielle, la cessation de l'exploitation du fonds de commerce, la démolition de l'immeuble pour le reconstruire, à condition d'ailleurs de décrire les travaux projetés, de permettre au preneur de rester dans les locaux jusqu'au début des travaux et de lui reconnaître le droit de priorité en cas d'attribution d'un nouveau bail.
(21) AUDCG, art. 112 et 113 nouveaux.
(22) AUDCG, art. 103 et 104 nouveaux.
(23) La connaissance par le bailleur de l'activité principale du preneur entraînant un certain standing du local, obligeait le bailleur à effectuer les travaux nécessaires pour permettre au locataire de jouir paisiblement des lieux loués et remplir ainsi l'obligation qui est mise à sa charge par l'article 74 de l'AUDCG.
(24) Ph. Jestaz, Le Droit, Coll. Connaissance du droit, Dalloz 3ème éd. 1996.
(25) En acceptant de conclure avec le preneur un bail pour l'exploitation de l'activité de restauration, le bailleur est censé mettre à la disposition de celui-ci un local adapté. L'usage l'exige et par interprétation de l'ancien article 1135 du Code civil (N° Lexbase : L1235ABD), cela était sous-entendu dans le contrat. C'est aussi le sens de l'article 74 de AUDCG évoqué plus haut.
(26) AUDCG, art. 126 nouveau.
(27) L'enrichissement sans cause se définit comme "l'enrichissement d'une personne en relation directe avec l'appauvrissement d'une autre, alors que le déséquilibre des patrimoines n'est pas justifié par une raison juridique". Cf. Lexique des termes juridiques, Dalloz, 8è édition, 1990 ; cité par Starck (B), Roland (H), Boyer (L), Obligations, 2. Contrat, 4ème édition, Litec, 1993.
(28) L'on aurait bien pu convoquer ici l'article 131, alinéa 1, du nouvel Acte uniforme portant sur le droit commercial général, qui, reprenant une règle contenue dans l'article 99 de l'ancien Acte, prévoit que "le preneur sans droit au renouvellement, quel qu'en soit le motif, peut être remboursé des constructions et aménagements qu'il a réalisés dans les locaux avec l'autorisation du bailleur", mais dans le cas d'espèce, les travaux avaient été faits sans autorisation.

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